Lisa Zordan

Née en 1987, elle s'installe à Paris et entame des études d’art au lycée professionnel Corvisart.

Elle rejoint la FCIL illustration de Corvisart où elle rencontre l'illustrateur peintre et enseignant Laurent Corvaisier, qui va l’orienter vers le concours des Arts Décoratifs en 2008 où elle intègre la section  «image imprimée».

 

Après des premiers pas dans l'édition jeunesse, elle intègre en quatrième année la School of Visual Art de New York pour un séjour de 5 mois et décide de s’orienter vers la bande dessinée.

Pour son diplôme de fin d’année, elle présente une première version de «Pieds nus dans les ronces» et obtient les félicitations du jury.

Après deux ans de réflexion, ce premier roman graphique entièrement remanié sort le 19 juin aux éditions Michel Lagarde.

 

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Interview

Studio 002 : Ton premier livre est un récit très chargé en émotion. Peux tu nous retracer ton parcours et les origines de cette histoire ?

 

Lisa Zordan : Pour ma dernière année aux Arts Décoratifs de Paris, je devais réaliser un grand projet. J’avais l’envie d’exploiter tout ce que j’avais appris durant ces années pour réaliser une sorte de livre d’artiste !

Par la suite le roman graphique m’a semblé être le choix le plus évident pour allier mon envie de raconter une histoire et celle de peindre. J’avais plusieurs idées de thème pour le récit, j’étais très attirée par la psychologie des tueurs en série, par le paranormal et les ovnis de manière générale. Je voulais arriver à agencer tous ces sujets ensemble. Mais j’ai du faire des choix, entre temps la maison de ma grand-mère a été vendue.

Ce lieu où j’allais enfant et où je n’ étais pas retournée depuis 15 ans. J’avais oublié beaucoup de choses. Des bribes de passé y réapparaissaient confusément… nourris de découvertes de lettres de mon arrière grand-père pendant la guerre, des décès, des relations familiales, des secrets, des photos de famille… Ces événements représentaient un héritage et m’ont aidé à comprendre ma famille, ce qui nous lie les uns aux autres. Je voulais, à mon tour, laisser un témoignage, une trace… Je me suis servie de cette expérience pour inventer une histoire et composer une situation marquée par le poids du passé, par la nécessité de l’affronter et de la surmonter pour devenir soi-même. Je suis retournée dans le village de ma petite enfance pour y faire des photos. Je voulais ancrer la fiction dans une réalité vécue. Je voulais lui donner de la profondeur. S’y mêlent ainsi références au lieu et images inventées, réalité et fantasmagorie.

 

Studio 002 : Le personnage de Terry a t’il existé ou son histoire est inspirée de faits divers ?

 

Lisa Zordan : Terry n’a jamais existé tel qu’il est présenté dans ce livre, mais j’ai essayé de me mettre à la place d’un homme de cet âge et d’imaginer son ressenti dans chaque situation. C’était compliqué, mais plaisant. Je devais me détacher de mon propre vécu pour ne faire qu’un, avec les pensés de Terry. J’ai donc inventé ce personnage a partir de presque rien si se n’est mon imagination. Je suis davantage attachée au personnage de Maria, inspirée d’une femme qui vivait dans le village de ma grand-mère. Je ne faisais que la croiser, mais le mystère de son bras manquant m’intriguait déjà à l’époque. Je souhaitais dépeindre une héroïne contemporaine, intelligente et indépendante. Les souvenirs que j’avais de ce lieu étaient une vraie source d’inspiration, des histoires les plus anodines aux plus étranges, j’avais de quoi construire un récit empreint de vérité sur un fond de fiction.

 

Studio 002 : Tes ambiances nocturnes sont particulièrement saisissantes, la présence des fantômes occupe une place forte dans ce livre, serais-tu attirée par une forme de surnaturel ?

 

Lisa Zordan : J’ai grandi avec un père passionné de film d’horreur et de science-fiction ! Il me parlait de ses séances de spiritisme avec ses amis quand il était jeune, et sa fascination pour une potentielle vie extraterrestre ! Ce mystère à provoqué une réelle passion en moi, de ne pas savoir ce qui se cachait réellement au-dessus de nos têtes, alimentait mon imaginaire. L’homme est fasciné et effrayé par ce qu’il ne peut voir, mais peut seulement imaginer. Ce qu’il y a de d’excitant avec le surnaturel, c’est que rien n’est acquis tout peut être inventé. Je n’ai pas mis d’extraterrestre dans se récit, car ce n’était pas le bon moment, mais j’aimerais beaucoup dans un futur projet me pencher sur le sujet.

 

Studio 002 : Comment as-tu procédé pour construire ton récit et composer tes planches alors que tu ne viens pas du monde de la bande dessinée ?

 

Lisa Zordan : Je me suis lancé un défi en quelque sorte, je voulais arriver à rendre crédible un récit au travers d’un roman graphique avec des acquis autre que la bande dessinée elle même. Je me suis beaucoup inspiré du cinéma et de la photographie. J’aime l’idée d’ouverture sur l’image, de respiration et de temps mort où le silence de certaines cases fait appel à l’imaginaire du lecteur. Et pas à pas le bruit de la nuit se glisse dans nos têtes à la manière d’un fantôme. Entre le premier jet de 2013 pour le diplôme de fin d’année à l’Ensad et le dernier, j’ai beaucoup élagué l’histoire passant de 126 à 96 pages. J’ai enlevé tous les souvenirs qui n’apportaient rien au récit. Pour la création des images, il y a également eu un remaniement total du style entre les deux versions. L’éditeur souhaitait garder une unité visuelle, je me suis limitée à la gouache oubliant ce mélange entre aquarelle et encre de chine. Cette stabilité de style permet de se plonger d’avantage dans l’histoire.

 

Studio 002 : Tu as été épaulée, sur les conseils de l’éditeur, par quelques pros pour aboutir ce récit. Comment s’est passée cette collaboration sur un récit qui semble aussi personnel ?

 

Lisa Zordan : Au départ c’est très exaltant d’être conseillée par des professionnels de la bande dessinée comme Fred Bernard ou Dominique Herody, mais il arrive un moment où il faut faire des choix, c’était parfois compliqué de voir son récit remanié sur plusieurs plans, image et texte. J’ai eu peur que le texte perde de sa sincérité et qu’il ne ressemble plus à mon intention de départ. Après avoir fait le deuil de plusieurs images, j’ai refait quelques cadrages, remanié le texte de manière plus compacte. Ce recul était nécessaire pour la fluidité du récit. J’ai découvert quelques règles de narration propre la bande dessinée que je ne connaissais pas, je me suis également affirmé dans ma manière de peindre entre les premières et dernières planches.

Geraldine Meo, la graphiste du projet ma beaucoup aidé dans les dernières semaines à remanier certaine cases, elle connaissait mon récit sur le bout des doigts et comprenait mes intentions et ma manière de fonctionner. Elle avait donc la distance nécessaire pour me conseiller quand moi même je n’en avais plus. Elle a fait un travail d’imbrication complexe, et a essayé de faire cohabiter l’image avec le texte sans que jamais la typographie ne prenne le pas sur le visuel. Un jeu d’équilibre qui donne une cohérence et une subtilité à l’ensemble.

 

Studio 002 : Quels sont tes projets pour la suite et Terry ou ses fantômes peuvent-ils revenir peupler nos cauchemars  ? 

 

Lisa Zordan : Je ne pense pas que Terry reviendra dans d’autres récits. J’aime bien mes personnages spécialement Maria, mais si je devais garder quelque chose de cette histoire dans un prochain livre ce serait le lieu où se situe l’histoire. Dans ce village il se dégage une étrange atmosphère qui m’inspire et nourrit mon univers. J’ai plein de bribes de souvenir qui me viennent, des idées d’ambiance de nouveaux personnages. J’ai réellement l’envie d’écrire quelque chose qui me permettrait de faire rentrer en scène mes extraterrestres, une histoire à la « Mysterous skin  » un film de Gregg Araki. Les grands extraterrestres que je peins sont à la fois fragiles, solitaires et étranges voir inquiétants. J’aime maintenir une certaine ambiguïté quant à leur potentielle dangerosité et leurs réelles intentions envers les humains. J’ai aussi l’envie de travailler en collaboration avec un auteur sensible aux mêmes univers que moi, afin de faire vivre d’autres histoires au travers de mes images.